viernes, 17 de abril de 2020

LAS FÓRMULAS DEL SONETO (III)

LAS FÓRMULAS DEL SONETO EN FRANCIA
(SIGLOS XVII y XVIII)

Prosiguiendo con las formas estructurales del soneto que se dieron en Francia, veremos ahora las que aparecieron durante los Siglos XVII y XVIII.
Como se dijo en el trabajo anterior, debe tenerse en cuenta que las fórmulas que bajo cada autor se dejan no quiere decir que ese poeta restringiera su obra al uso de las mismas; por el contrario, debe considerarse que ellas no fueron usadas con anterioridad por otros autores franceses.
Asimismo se recuerda que tales esquemas rítmicos sólo se circunscriben a la esfera de la poesía gala, lo que significa que posiblemente cuenten con un precedente italiano o bien inglés, pues a estas alturas la poesía en Inglaterra ya contaba con notables sonetistas, tema que abordaremos en una futura presentación.



FRANÇOIS DE MALHERBE
(1555–1628)

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A MADAME LA PRINCESSE DE CONTI 
[1619]    

Race de mille rois, adorable princesse, 
Dont le puissant appui de faveurs m'a comblé, 
Si faut-il qu'à la fin j'acquitte ma promesse, 
Et m'allège du faix dont je suis accablé. 
Telle que notre siècle aujourd'hui vous regarde,  
Merveille incomparable en toute qualité, 
Telle je me résous de vous bailler en garde 
Aux fastes éternels de la postérité. 
Je sais bien quel effort cet ouvrage demande; 
Mais si la pesanteur d'une charge si grande  
Résiste à mon audace, et me la refroidit; 
Vois-je pas vos bontés à mon aide paroître, 
Et parler dans vos yeux un signe qui me dit 
Que c'est assez payer que de bien reconnoître? 


A RABEL, PEINTRE, SUR UN LIBRE DE FLEURS 
QU’IL AVOIT PEINTES
[1602/1603]

Quelques louanges nonpareilles  
Qu'ait Apelle encore aujourd'hui, 
Cet ouvrage plein de merveilles 
Met Rabel au-dessus de lui. 
L'art y surmonte la nature,  
Et, si mon jugement n'est vain, 
Flore lui conduisoit la main 
Quand il faisoit cette peinture. 
Certes il a privé mes yeux 
De l'objet qu'ils aiment le mieux,  
N'y mettant point de marguerite; 
Mais pouvoit-il être ignorant 
Qu'une fleur de tant de mérite 
Auroit terni le demeurant? 


A MONSIEUR DE FLEURANCE, SUR SON ART D’EMBELLIR
[1608]

Voyant ma Caliste si belle,  
Que l'on n'y peut rien desirer,   
Je ne me pouvois figurer 
Que ce fût chose naturelle. 
J'ignorois que ce pouvoit être 
Qui lui coloroit ce beau teint,  
Où l'Aurore même n'atteint 
Quand elle commence de naître. 
Mais, Fleurance, ton docte écrit. 
M'ayant fait voir qu'un bel esprit  
Est la cause d'un beau visage; 
Ce ne m'est plus de nouveauté, 
Puisqu'elle est parfaitement sage, 
Qu'elle soit parfaite en beauté. 



JEAN DE LA CEPPÈDE
(C. 1550-1623)

1) Les Théorèmes sur le Sacré Mystère de Nostre Rédemption_1613

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SONNET XXXVI
[Premier Livre]

Un Ange avoit predit le temps de sa venuë;
Au jeune enfant Prophete un Ange au temps promis
L'annonça, la fit estre à cet esprit cognuë
Qu'amour à son empire onques ne vid soubs-mis.
Par un Ange il rendit les pensers affermis
Qui troubloient de Joseph la vieillesse chenuë.
Les Anges ont chanté sa creche dans la nuë.
Un Ange l'enleva d'emmy ses ennemis.
Par l'Ange les pasteurs sa naissance entendirent.
Les Anges au desert à ses pieds se rendirent,
Un Ange maintenant conforte ses esprits.
Ô Truchements du ciel, combien de benefices
Nous apportent vos faits: vous nous avez apris
Qu'il estoit homme et Dieu, par vos divers offices.


SONNET L
[Premier Livre]

Voicy des-ja tonner les faits victorieux,
Du Lyon de Iuda ja sa divine essence
Nous fait voir ce que peut sur les plus furieux,
Sa voix pleine de forcé, & de magnificence.
C’est cette mesme voix dont la toute puissance
Par le creux d’un airain fit d’un son glorieux
Sur le mur ennemy l’effort mysterieux,
Qui Jerico rangea soubs son obeissance.
Au son de cette voix ces braves combatans
S’en vont comme la pouldre au soufflé des Autans,
Ainsi que le predit le Psalmiste Prophete.
Si iugeable, & mortel, par ces mots doucereux
Ses haineux il terrasse, ô l’horrible defaite,
Lors qu’immortel, & iuge, il tonnera sur eux.


SONNET XLI 
[Second Livre]

Harpye au ventre-creux, monstre fecond d’erreur,
Semence de tous maux, Avarice execrable,
L’ame qui te reçoit ne conçoit que fureur,
N’enfante qu’injustice, & perit miserable.
Pour cette verité cet acte est memorable
Cet avare Judas n’est pour tout acquereur
Que d’un rude licol, dont le noeud deplorable
Le garrotte au posteau de l’eternele horreur.
Vous qui béez apres l’avide friandise
De l’or, voyez le fruict de vostre marchandise
Qui perd en se perdant, le Corps, l’Ame, & l’honneur.
De la Lote du gain Sathan vous affriande,
Mais il vous sert en fin l’absynthe empoisonneur
De l’amer desespoir pour derniere viande.


SONNET XXIII
[Troisieme Livre]

L’Autel des vieux parfums dans Solyme encensé,
Fait or’ d’une voirie un Temple venerable,
Où du Verbe incarné l’Hypostase adorable
S’offre tres-odorante à son Pere offensé.
Le vieux Pal, sur lequel jadis fut ageancé
En Edom le Serpent aux mordus secourable,
Esleve ores celuy qui piteux a pensé
Du vieux Serpent d’Edem la morsure incurable.
Le pressoir de la vigne en Calvaire est dressé,
Où ce fameux raisin ce pressoir a pressé,
Pour noyer dans son vin nos lethales vipères.
L’eschele Israëlite est posée en ce lieu,
Sur láquele aujourd’hui s’appuyant l’homme-Dieu,
Nous fait jouïr des biens qu’il promit à nos pères.



2) Les Théorèmes sur le Sacré Mystère de Nostre Rédemption_1621
     [Seconde Partie]


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SONNET LIX
[Livre II]

Vous avez retenu ces playes venerables,
Non pas que vous n’ayez peu les cicatrizer,
Mais bien pour vous parer des marques honorables
Du combat qui nous doit un iour paradizer.
Voire il vous plaist, Sauveur, de les eternizer,
Pour les representer aux Soleils adorables
De vostre iuste Pere, & les rendre exorables
Envers ceux que vos voeux daignent favourizer.
Ces playes brilleront aux uns épouvantables,
Pour leur ingratitude: aux autres delectables,
Comme outils de leur grace au iour du Jugement.
Ces playes maintenant son témoins veritables
Que vous estes le mesme en ce r’avivement
Qui l’autr’hier fut pendu par les Juifs detestables.


SONNET IV
[Livre II]

Emperiere du Ciel, i’ay voilé du silence,
Au trépas de ton Fils tes extrémes douleurs:
Car pour representer leur vive violence
Mon pinceau n’avoit pas d’assez vives couleurs.
Or comme il n’en eut point pour marquer tes malheurs,
Il n’en a point aussi pour marquer l’excellence
De ton aise à ce iour, que la froide insolence
De la mort donne place à ses vives chaleurs.
Comme on ne peut sonder le fonds de l’Erythrée,
La ioye don’t ton ame à ce coup est outrée
Ne peut estre sondée, on ne peut l’estimer.
Ta ioye (qui sera d’eternelle durée)
Mesme des purs esprits ne peut qu’estre admirée
Hé comme pourroit donc un mortel l’exprimer.


SONNET XV
[Livre III]

Christ, tout est mérveilleux autant que venerable
Au cours de vostre vie: & singulierement
Le naistre, le mourir, & le raviuvement:
Seul toutes fois cét acte a le nom d’admirable.
Au compas du chemin que peut faire un mourable
Huict mille ans sont requis pour voir le firmament,
Vostre corps immortel, sacre-sainct, adorable
S’envole par dessus Presque dans un moment.
Vostre espouse partant qui iustement balance
Vos mysteres, appele (& ce par excellence)
Admirable celuy de cét élevement
Tel le dit elle encor pource qu’il authorise
Vostre Evangile sainct, qui l’homme Paradise,
Et que de tous vos faits c’et le couronnement.



HONORAT DE BUEIL, MARQUÉS DE RACAN
(1589–1670)

Les Bergeries_1619

ABBACDCDEEFGFG


A MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE SUR LA MORT 
DE MONSEIGNEUR LE CHEVALIER SON FRÈRE

Prince, l’heur de la paix et la foudre des armes,
Si pour verser des pleurs l’on rachetoit des morts,
Nous eussions fait enfler la Seine outre ses bords,
Espanchant pour ton frere un deluge de larmes.
Il est vray que ses jours sont bien-tost limitez;
Mais tel est icy bas l’âge des belles choses,
Les destins sont jaloux de nos prosperitez,
Et laissent plus durer les chardons que les roses.
Croy-moy, donne à ton mal un sage reconfort,
Et, cessant desormais de te plaindre du sort,
Deffends à ta douleur cette perseverance;
Ou, si tu veux avoir un legitime ennuy,
Soupire avecque nous le malheur de la France,
Qui n’aura jamais rien qui soit pareil à luy.



FRANÇOIS DE MAYNARD
(1582–1646)

Épigrammes_1646

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Mes veilles, qui par-tout se Font des partisans,
N’ont pu toucher l’esprit de ma grande princesse,
Et le Palais-Royal va traiter mes vieux ans,
De même que le Louvre a traité ma jeunesse.
Jamais un bon succès n’accompagne mes voeux,
Bien que ma voix me tasse un des cygnes de France;
Et sept lustres entiers ont blanchi mes cheveux,
Depuis que ma vertu se plaint de l’espérance.
Un si constant reproche à la fin m’a lassé;
Et je vois, sans regret, en mon âge glacé,
Que la faveur me fuit, et que la cour me trompe.
Voisin comme je suis du rivage des morts,
A quoi me serviroit d’acquérir des trésors,
Qu’ à me faire enterrer avecque plus de pompe?



CHARLES DE VION D’ALIBRAY 
(C. 1590–1652)

La Musette_1647

ABBACDCDEEFGGF


SONNET XXVII

Guy, jaloux avecques raison
De sa femme trop amoureuse, 
Veut I'empescher d'estre coureuse 
Et l'arrester à la maison:
Mais quelque chose que Guy fasse 
II n'en scauroit venir à bout,
On trouve tousjours la Bagasse 
Aux bleds, aux vignes et par tout.
Cependant le bon-homme enrage 
Et, pour souffrir un tel outrage,
Dit qu'il n'a pas le front d'acier.
Veux-tu faire meilleure garde,
Croy moy, Guy, prends une hallebarde 
Et fais l’office de Messier.



VINCENT VOITURE
(1598–1648)

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PLACET A CARDINAL MAZARIN

Prelat passant tous les prelats passez,
Et les presens, car ce n' est plus trop dire;
Pour Dieu rendez les souhaits exaucez
D' un coeur dolent, qui de vous voir desire.
Mais M de tous huissiers le pire,
Expert pourtant, et qui discerne bien
Les gens d' esprit, ceux qu' il faut introduire,
Et ceux aussi qui ne sont bons à rien;
Apres m' avoir tenu long-temps à l' huis,
Enfin, demande où je vay, qui je suis;
Pourquoy je viens en ce lieu me morfondre,
Et me monstrer, sans qu' on m' en soit tenu?
À tout cela je ne sçay que répondre,
Et m' en revay comme j' estois venu.



GUILLAUME COLLETET
(1598–1659)

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DESORDRE D’ESPRIT 
Sonnet dereglé 48
[1652] 

Que le ciel, qui me rend amoureux de Claudine,
Protege pour mon bien cette beauté divine;
Et puis que mon amour fit naistre son amour,
Que son mal soit mon mal, sa fin mon dernier jour.
Helas! Dans les tourmens que sa fievre luy livre,
Son esprit sans le mien ne peut mourir, ny vivre;
Et dans l' affliction des peines que je sens,
Son desordre d' humeurs desordonne mes sens.
Pleurs, souspirs, et sanglots, fils des yeux et de l' ame,
Conservez mon brasier, et soulagez ma flâme;
Ou s' il faut que l' amante abandonne l' amant,
Que l' amant aussi-tost la suive au monument;
Afin qu' on dise un jour, qu' un couple si fidele
Rendit, malgré la mort, son amour immortelle.



JACQUES VALLÉE DES BARREAUX 
(1599–1673)

Sa vie et ses poésies_1907

ABBABABABBACCA

SONNET
[1653]

Trompeurs miroirs des coeurs, infidelles lumières,
Ah! Beaux yeux, estes-vous si traistres et si beaux?
Quoy, c’estoient donc pour moy de funestes flambeaux
Que ces feux innoncens brillans sous vos paupières!
De Nature et d’Amour, ô miracles nouveaux,
Astres doux et bénins, vos flâmes sont meurtrières,
Vous promettez de l’heur, et creusez des tombeaux,
Trompeurs miroirs de coeurs, infidelles lumières.
Oüy, vous estes trompeurs, mais vous estes si beaux,
Que je vous tiens de Dieux, quoy que vous soyez faux;
Hélas! Faut-il qu’au lieu de voeux et de prières,
Je sois contraint de dire à la honte des Cieux,
Aux plus beaux et plus clairs des Astres et des Dieux.
Trompeurs miroirs des coeurs, infidelles lumières. 




PAUL SCARRON
(1610–1660)

Recueil de quelques pieces nouvelles et galantes_1663

ABBABAABCCDEDE


De plaideurs, de Marchands, & de Clercs entouré,
Au troisième pilier qui soutient la grand'salle, 
Le grammairien Boileau tous les matins étale 
Quelque Madrigalet de lui seul admiré. 
Un ami généreux., de vertu sans. égale, 
fut par l’Iscariot lâchement déchiré; 
Et Costar de ses traits qui piquent si serré, 
Piqua l’infame Auteur d'une action si sale, 
L'Avocat réformé blasphéma, s'emporta, 
Et tous de ses amis le secours emprunta, 
Ne pouvant rien tirer de son esprit de ronce: 
Mais on servit si mal ce malheureux garçon, 
Qu'il fit deux ans entiers attendre sa réponse, 
Que l’on ne crut jamais être de sa façon



JEAN DE LA FONTAINE
(1621–1695)

Contes_1665

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LE BÂT

Un peintre était, qui jaloux de sa femme,
Allant aux champs lui peignit un baudet
Sur le nombril, en guise de cachet.
Un sien confrère amoureux de la dame,
La va trouver et l'âne efface net;
Dieu sait comment; puis un autre en remet
Au même endroit, ainsi que l'on peut croire.
À celui-ci, par faute de mémoire,
Il mit un bât; l'autre n'en avait point.
L'époux revient, veut s'éclaircir du point.
"Voyez, mon fils, dit la bonne commère,
L'âne est témoin de ma fidélité.
Diantre soit fait, dit l'époux en colère,
Et du témoin, et de qui l'a bâté. 



BERNARD LE BOVIER DE FONTENELLE
(1657–1757)

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A UNE DE SES AMIES, QUI L’AVOIT PRIÉ DE LUI 
APPRENDRE L’ESPAGNOL
[1677]

Parce que l’espagnol est une langue fière,
Je vous le dois apprendre! Hé bien, foit, commençons;
Mais ce que je demande à ma belle écolière,
C’est de ne se jamais servir de mes leçons.
Déjà si fiérement votre ame indifférente
Oppose à mon amour qu’il ne faut point aimer,
Que même en espagnol, y fussiez-vous savante,
Vous auriez de la peine à vous mieux exprimer.
Croyez-moi, le François vaut bien qu’on le préfère
A la rude fierté d’une langue étrangère.
De ce qu’il a de libre, empruntons le secours.
Mais que de son côté l’Espagnol se console;
Car ne pouvons-nous pas mêler dans nos amours,
Et liberté françoise, & constance espagnole? 



LAURENT DRELINCOURT    
(1625–1680)

Sonnets chrétiens sur divers sujets_1677

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SONNET XXXI   
[Livre Troisieme]
    
Le voici, le grand Roi, le Sauveur glorieux,
Le Soleil de Justice en sa Course nouvelle;
Le Tout-Paissant Jesus qui fort Victorieux,
Du ténébreux Cachot de la Grote mortelle.
Les Anges, descendus de la Voûte des Cieux,
Pour assurer ma Foi, pour embraser mon Zéle,
Viennent, pleins d’allegresse, en Habits radieux,
Honorer du Seigneur la Pompe solemnelle.
La Terre en est émue, & l’Altre aux blonds cheveux,
Sort de l’Onde à grand’hâte, & prend de nouveux Feux,
Au lever du Soleil dont il est la Peinture,
Ouvrez-vous, tous mes Sens, voyez ici, mon Coeur!
L’intérêt de Jesus y porte la Nature:
Mais c’est pour mon Salut que Jesus est Vainqueur!

SONNET XIII    
[Livre Premier]
        
Pauvre home, dont la force est la force d’un Verre;
Vieillard foible & tremblant, à toy-même ennuyeux;
A qui tant d’Ennemis font ensemble la guerre;
Ne veus-tu point songer à quitter ces bas Lieux?
Ne sens-tu point la Mort, qui te suit, qui se serre?
As-tu perdu l’esprit? Et ton Coeur vicieux,
Endurci par les Ans, & tenant à la Terre,
N’a-t-il, ni mouvement, ni chaleur, pour les Cieux?
Voi ces Monts fourcilleux, dont les cimes chenues
Portent leur front de nége à la hauteur des Nues,
Et dont le sein répand un Déluge de Feux.
Ainsi, pour t’élever à la gloire éternelle,
La nége sur le poil, le Coeur brûlant de Voeux,
Corrige ta froideur, par le feu de ton Zéle.


SONNET XXXIX    
[Livre Troisieme]

Du prisonnier Céphas voyez la fermeté;
Cent Personnes, en Lui, plus que Lui, Prisonniéres,
Redoutent du Tyran les Forces meurtriéres:
Lui seul, dan ce Péril, repose en fûreté.
Pierre, réveille toi; l’Ange est à ton côté:
De tes Gardes veillans il ferme les Paupiéres;
De ton Cachot affreux il ouvre les Barriéres,
Et fait tomber les Fers de ta Captivité.
Du Captif delivré, l’incertaine Pensée,
Dans cet heureux moment, se trouve balancée,
S’il n’est Libre qu’en Songe, ou Libre en verité.
Reviens à toi, grand Saint; béni ta Délivrance:
La main du Tout-puissant te met en Liberté,
Pour ranger l’Univers à son Obéissance.




ISAAC DE BENSERADE 
(1612–1691)

Les Oeuvres (Vol.1)_1697

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ÉPITAPHE DES PLUS GRANDS HÉROS

Ci-git un Conquerant qui mit le feu partout,
Et qui fut annoncé même par les Comètes:
Que sçait on si là, bas tête, nû & deboût,
Il n’est point au-dessous d’un Crieur des Allumettes?
Ci-git Pompée, Alexandre, César!
Ils eurent beau triompher sur un Char:
Ce fier ci-git les en fit bien descendre;
Et, quelque noble enfin que soit leur Cendre,
Mal-aisément ils la démêleront.
Il en viendra qui les égaleront;
S’il n’en est pas qui déjà les effacent:
Mais, après tout, quoique les Héros fassent,
Qu’en reste-t-il? Qu’un son leger & vain,
Dont, tôt ou tard, ci-git est le Refrain?
 


FRANÇOIS MARIE AROUET (a) VOLTAIRE 
(1694–1778)

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ABBACDCDEFEFEF


A MONSIEUR LE COMTE ALGAROTTI
[1736]

On a vanté vos murs bâtis sur l'onde, 
Et votre ouvrage est plus durable qu'eux. 
Venise et lui semblent faits pour les dieux; 
Mais le dernier sera plus cher au monde. 
Qu'admirons-nous dans ce dieu merveilleux 
Qui, dans sa course éternelle et féconde, 
Embrasse tout, et traverse à nos yeux 
Des vastes airs la campagne profonde? 
L'invoquons-nous pour avoir sur les mers 
Bâti ces murs que la cendre a couverts, 
Cet Ilion caché dans la poussière? 
Ainsi que vous il est le dieu des vers, 
Ainsi que vous il répand la lumière: 
Voilà l'objet des voeux de l'univers. 


LES SOUHAITS 

Il n'est mortel qui ne forme des voeux 
L'un de Voisin convoite la puissance; 
L'autre voudrait engloutir la finance 
Qu'accumula le beau-père d'Évreux. 
Vers les quinze ans, un mignon de couchette 
Demande à Dieu ce visage imposteur, 
Minois friand, cuisse ronde et douillette 
Du beau de Gesvre, ami du promoteur. 
Roy versifie, et veut suivre Pindare; 
Du Bousset chante, et veut passer Lambert. 
En de tels voeux mon esprit ne s'égare: 
Je ne demande au grand dieu Jupiter 
Que l'estomac du marquis de La Fare, 
Et les c...ons de monsieur d'Aremberg. 



CHARLES-FRANÇOIS PANARD o PANNARD
(1689–1765)

Théatre et Oeuvres Diverses (Tome IV)_1763

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LA NAISSANCE N’A DE RELIEF QUE PAR L’EDUCATION

Sans l’util Secours de l’Education
C’est en vain que l’éclat d’une haute Naissance
Est joint à plus d’un Million:
Qu’est-ce que en pareille circonstance
Qu’un homme de Condition?
C’est un homme pêtri d’orgueil & d’arrogance;
C’est un homme entraîné par toute passion
Dans la désordre & la licence;
C’est un idole d’or, qui, sous l’éclat exquis
Des diamans & des rubís
Cache une ignorance profonde:
C’est l’ombre d’un Baron, c’est l’extrait d’un Marquis,
A qui des Aïeux ont acquis
Le Droit d’être inútil au Monde.



ALEXIS PIRON
(1689–1773)

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INGÉNIEUX BOUTS-RIMÉS, DONNÉS PAR LA MOTTE, & REMPLIS MILLE & MILLE FOIS

Que de balivernes ……………. Voilà,
Avec la Diable d’ ………….…. Isabelle
Ta rime en sa, ta rime en ……. La
corbleu, tu nous la bailles …… Belle.
Mon tonneau seroit bu ………. Déjà.
Vois ce vin, comme il ……..…. Étincelle:
Tope à Catin qui le ver …….… Sa,
Hem! Est-ce du jus de ……..…. Prunelle?
DONNE: j’en prends tant qu’on m’en Offre:
Rasade encore? Que je la ………. Coffre.
Alte-là! Ma foi je suis ………..… Plein.
Comme un feuillet de la ……… Pucelle,
Un coup m’endormiroit ………. Soudain;
Sortons ….. non, restons, je ….. Chancelle.











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OBRAS CONSULTADAS:


EVERETT WARD OLMSTED, The Sonnet in French Literature and The Development of the French Sonnet Form, 1897.

MAX JASINSKI, Histoire du Sonnet en France, 1903.

GEORGES LOTE, Chapitre I. Le sonnet (Histoire du vers français, Tomo VI), 1991.